Julian est délégué général de l'Association de promotion de la Fabrique des transitions, ancien directeur de cabinet et chargé de récit à Loos-en-Gohelle (2013-2020). Également conseiller scientifique chez Futuribles, administrateur IEEFC, et membre du comité éditorial de la revue Dard/Dard.
Bonjour Julian et merci de répondre à nos questions sur un sujet plus que d'actualité : le vrai participatif et comment l'instaurer au sein de nos organisations.
Peux-tu nous dire deux mots sur la Fabrique des Transitions dont tu es le délégué général et les initiatives que vous avez lancées depuis sa création ?
La Fabrique des transitions est une alliance d'acteurs et de territoires engagés pour une conduite de changement systémique. Nos 300 organisations membres et autres alliés à titre individuel sont engagés pour organiser la transition d'un modèle de société prédateur insoutenable vers un modèle de société dans lequel on peut vivre dignement et dans le respect des limites planétaires. Cette alliance est portée par une association de portage qui s'appelle l'Association de promotion de la Fabrique des transitions.
Nous avons deux grandes missions : la première, c'est d'animer la vaste communauté apprenante des alliés de la Fabrique. La deuxième, c'est d'accompagner les territoires. Nous portons pour se faire plusieurs initiatives : des temps d'échanges, des communautés apprenantes thématiques, des chantiers pour mutualiser, des initiations de territoires à la transition. Nous avons aussi des dispositifs « d'accompagnement en cohorte » où nous faisons venir des territoires en écosystème (collectivités, acteurs socio-économiques, agents de l’Etat…) et nous les accompagnons sur un parcours d'un an autour des questions de transformation de leur cadre de pensée, leur cadre d'organisation, leur cadre d'action.
Quelle est ta définition de la démocratie participative ?
La démocratie participative est généralement définie comme un espace démocratique dans lequel participent des acteurs et des citoyens, en complément de la démocratie représentative. On sait que les élus aujourd'hui sont de plus en plus “mal élus”. Il y a énormément d'abstention ou bien tout simplement des citoyens qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales. Et par ailleurs, les élus aujourd'hui engagés dans les territoires font face à d'immenses difficultés, que ce soit en termes de complexification de la chose publique ou bien simplement d'un niveau de moyens qui est complètement dérisoire par rapport à la hauteur des enjeux de la transition.
À la Fabrique des transitions, nous parlons davantage de “démocratie d'exercice” que de démocratie participative, parce que la démocratie participative peut laisser penser qu'il suffit de rassembler des citoyens dans les chambres exécutives en complément des espaces d'arbitrage officiels, de les inviter à réfléchir avec les élus et les agents des collectivités territoriales et que la démocratie en sera renforcée. C'est vrai, mais ce n'est pas suffisant ! Une démocratie d'exercice, à l'inverse, c'est une démocratie qui crée aussi les conditions d'engagement des citoyens au service de l'intérêt général.
Les collectivités territoriales n'ont pas le monopole de l'intérêt général et quand elles développent une alliance avec les acteurs socio-économiques, que ce soient les citoyens, les entreprises, les acteurs de terrain, ensemble, ils atteignent une puissance publique. Une puissance qui permet d'aller au-delà de ce que la politique publique classique pourrait obtenir, bien au-delà de ce que les acteurs socio-économiques peuvent faire s'ils ne le font pas avec des partenaires publics.
Cette démocratie d'exercice se vit donc de plein de manières. C'est par exemple reconnaître un droit d'initiative pour les acteurs qui prennent un leadership pour mettre en place une démarche.
Et puis cette démocratie d'exercice ne peut bien se vivre que si elle est complétée d'une autre forme de démocratie qu'on appelle, à la suite de Pierre Rosanvallon, “la démocratie narrative”, c'est à dire des espaces dans lesquels on prend le temps de remettre en trajectoire les histoires vécues par les uns et les autres qui s'engagent. L'engagement, c'est coûteux, ça demande des efforts et ces efforts doivent être reconnus pour pouvoir être soutenus.
Comment selon toi, peut-on rendre une organisation plus démocratique ?
J'aurais envie de dire en organisant sa démocratisation. C'est-à-dire que, d'abord, la démocratie ne se cantonne pas aux acteurs publics. La démocratie est aussi un enjeu d'organisation au sens où les organisations de travail, que ce soit des associations, des entreprises…, doivent aussi créer les conditions d'engagement et de co-production des acteurs qui les composent. Cela demande bien de la coopération au sein de l'organisation. Cette coopération est rendue nécessaire pour prendre en charge la complexité des enjeux, de développement territorial, de lutte contre le réchauffement climatique etc… On a besoin pour ça de faire rentrer dans les organisations, les usagers, les bénéficiaires, donc pour une entreprise, ses clients ou bien ses fournisseurs. Pour une collectivité territoriale, les administrés, les usagers, les citoyens, les faire rentrer dans l'organisation, cela veut dire leur ouvrir des espaces dans lesquels ils peuvent rendre compte ou bien interpeller ce qu'ils perçoivent de l'organisation.
Une organisation démocratique, c'est aussi une organisation qui cherche à sortir de ses silos internes et donc qui crée des espaces de transversalité, de réflexivité en son sein.
Tout cela afin de permettre de mieux évaluer le sens partagé des membres de cette organisation. Qu'est ce qu'ils font ensemble ? Pourquoi le font-ils ? Une manière également d'évaluer collectivement la portée de leur organisation, leur projet…
Quels conseils donnerais-tu à une organisation qui souhaite implémenter des initiatives participatives ?
1. Le premier conseil, c'est de bien définir ce sur quoi les acteurs vont pouvoir participer ou pas. On peut avoir envie de faire participer les gens, mais au final être contraint dans la décision et ne pas pouvoir accueillir toutes les propositions qui émergeront de cette participation. Donc, il faut être extrêmement clair dès le départ.
2. Ensuite, c'est de bien cartographier les acteurs avec lesquels engager cette démarche participative. Il y a les acteurs auxquels on peut penser spontanément, et puis, en essayant d'avoir une approche systémique, en qualifiant les besoins auxquels on cherche à répondre, on va identifier des acteurs avec lesquels on n'est peut être pas suffisamment en lien, voire pas du tout.
3. Ce deuxième conseil et le troisième, ce serait d'accepter de se laisser surprendre aussi. Quand vous avez un sujet vis-à-vis d'acteurs avec lesquels vous voulez travailler, laissez-vous interpeller par les acteurs qui sont en lien direct ou pas avec votre organisation, et qui peuvent avoir des choses à proposer, des revendications à mettre en place. Par exemple, pour une collectivité territoriale : une pétition qui vient critiquer une action territoriale. Cette forme revendicative est une forme d'engagement sur laquelle appuyer un processus participatif à partir de là où sont les gens pour conduire la dynamique collectivement.
Et pour aller plus loin :
Podcast - La coopération et l’implication citoyenne sont-elles les clés pour réussir les transitions à venir ?
Pierre Rosanvallon - Le parlement des invisibles